Arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne : Indépendance et pouvoirs du régulateur national de l'énergie
La Cour de Justice de l'Union européenne s'est prononcée sur la question de l'indépendance et des pouvoirs du régulateur belge de l'énergie dans un arrêt C-767/19 du 3 décembre 2020
Partant de l’exigence que les régulateurs de l’énergie doivent disposer d’une indépendance totale par rapport aux autres intérêts publics ou privés pour garantir le bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité, la Commission a procédé d’office à l’examen de la transposition des directives 2009/72 et 2009/73 dans le droit belge, aux fins de vérifier l’existence d’éventuelles incompatibilités avec le droit de l’Union. L’enquête concernait la dissociation des systèmes de transport, l’indépendance et les compétences des autorités nationales de régulation ainsi que la protection des consommateurs.
Estimant que certaines dispositions du droit belge continuaient à ne pas être conformes aux directives 2009/72 et 2009/73, la Commission a décidé d’introduire un présent recours.
1 . Propriété du réseau de transport d’électricité et de gaz
La Commission soutient que l’article 9, paragraphe 1, sous a), de chacune des directives 2009/72 et 2009/73 n’a pas été correctement transposé dans le droit belge. À cet égard, selon les dispositions de l’article 10, paragraphe 1, de la loi belge sur l’électricité et de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, de la loi belge sur le gaz naturel, il n’est pas exigé que le gestionnaire du réseau de transport soit le propriétaire de celui-ci, mais que les propriétaires de réseau qui proposent au ministre fédéral chargé de l’énergie de désigner un gestionnaire détiennent conjointement une partie du réseau de transport qui couvre au moins 75 % du territoire national et, selon la loi sur le gaz naturel, le gestionnaire de réseau détienne conjointement avec d’autres une partie du réseau qui couvre au moins 75 % du territoire national.
L’article 9, paragraphe 1, sous a), de chacune des directives 2009/72 et 2009/73 prévoit que les États membres veillent à ce que, à compter du 3 mars 2012, chaque entreprise qui possède un réseau de transport agisse en qualité de gestionnaire de réseau de transport.
S’agissant des gestionnaires de réseau de transport indépendants, il importe de relever qu’il a été jugé que l’article 17, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/72 exige explicitement que ces gestionnaires de réseau soient propriétaires des actifs nécessaires à l’exercice de l’activité de transport d’électricité, en particulier du réseau de transport, et cela, notamment, afin d’assurer, ainsi qu’il ressort des considérants 16, 17 et 19 de cette directive, l’indépendance totale et effective de ces gestionnaires par rapport aux activités de fourniture et de production (arrêt du 17 octobre 2019, Elektrorazpredelenie Yug, C‑31/18, EU:C:2019:868, point 64).
Or, ainsi que la Commission le soutient, aucun motif ne justifie qu’il existe une divergence quant à l’étendue de la propriété du réseau entre le paragraphe 1 et le paragraphe 8 de l’article 9 de chacune des directives 2009/72 et 2009/73. Ce paragraphe 1 vise le cas d’une « entreprise qui possède un réseau de transport », sans nullement mentionner celui d’une entreprise qui possèderait une partie d’un tel réseau, ce qui tend à indiquer que l’entreprise en question, qui est en mesure d’être désignée comme gestionnaire de réseau de transport, doit posséder la totalité de ce réseau. Cette lecture est corroborée par le texte univoque de l’article 17, paragraphe 1, sous a), de chacune desdites directives, qui fait référence au cas visé à cet article 9, paragraphe 8, et exige que le réseau de transport soit la propriété du gestionnaire du réseau de transport.
Il découle de cette analyse du libellé et du contexte de l’article 9, paragraphe 1, de chacune des directives 2009/72 et 2009/73 que le propriétaire du réseau de transport doit être le propriétaire de la totalité de ce réseau.
En l’espèce, la législation belge n’exige pas du gestionnaire du réseau de transport d’électricité ou de gaz naturel qu’il soit le propriétaire de celui-ci.
Il convient en conséquence de constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces directives, en ayant omis de transposer correctement l’article 9, paragraphe 1, sous a), de chacune desdites directives.
2. Décisions contraignantes en ce qui concerne la transparence et la libre concurrence sur le marché
La Commission soutient que l’article 37, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/73 n’ont pas été correctement transposés dans le droit belge. Plusieurs dispositions de la loi sur l’électricité et de la loi sur le gaz naturel ne permettraient pas à l’autorité de régulation, en l’espèce la CREG, de prendre des décisions contraignantes en ce qui concerne la transparence et la libre concurrence sur le marché, d’imposer les mesures proportionnées et nécessaires afin de promouvoir une concurrence effective ainsi que d’assurer le bon fonctionnement du marché à l’égard des entreprises d’électricité et de gaz.
S’agissant de l’argumentation du Royaume de Belgique selon laquelle l’article 31 de la loi sur l’électricité et l’article 20/2 de la loi sur le gaz naturel confèrent à la CREG la compétence générale de prendre des décisions contraignantes vis-à-vis des personnes physiques ou morales, la Commission fait valoir que ces dispositions permettent seulement d’enjoindre à ces personnes de se conformer à des obligations qui leur incombent déjà, alors que l’article 37, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/73 visent à confier à l’autorité de régulation le pouvoir de prendre des décisions de manière autonome.
Selon la Cour, l’article 37, paragraphe 1, de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 1, de la directive 2009/73 confèrent à l’autorité de régulation des missions variées, dont notamment, aux points i) et j) de ces paragraphes 1, celles de surveiller le degré de transparence, y compris des prix de gros, de veiller au respect des obligations de transparence par les entreprises d’électricité et de gaz naturel, de surveiller le niveau et l’efficacité atteints en termes d’ouverture des marchés et de concurrence pour les marchés de gros et de détail, les prix facturés aux clients résidentiels et les plaintes des clients résidentiels, ainsi que de surveiller les distorsions ou restrictions de concurrence éventuelles, en communiquant notamment toutes les informations utiles et en déférant les affaires qui le justifient aux autorités de concurrence compétentes.
L’article 37, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/73 prévoient que les États membres veillent à ce que les autorités de régulation disposent des pouvoirs nécessaires pour s’acquitter des missions visées aux paragraphes 1, 3 et 6 de ces articles d’une manière efficace et rapide et que, à cet effet, l’autorité de régulation se voit confier au moins la compétence de prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises d’électricité ou de gaz naturel ainsi que celle de procéder à des enquêtes et d’arrêter et d’imposer les mesures proportionnées et nécessaires afin de promouvoir une concurrence effective et d’assurer le bon fonctionnement du marché. Le cas échéant, l’autorité de régulation a aussi compétence pour coopérer notamment avec l’autorité nationale de la concurrence dans le cadre d’une enquête concernant le droit de la concurrence.
Il résulte ainsi des dispositions des directives 2009/72 et 2009/73 que les États membres doivent doter les autorités de régulation du pouvoir d’adopter des mesures contraignantes, notamment afin de promouvoir une concurrence effective sur les marchés de l’électricité et du gaz naturel. Si ces autorités doivent pouvoir coopérer avec les autorités nationales de la concurrence, en communiquant notamment à celles-ci toutes les informations utiles et en leur déférant les affaires qui le justifient, il n’en reste pas moins qu’elles doivent pouvoir exercer leurs compétences et leurs pouvoirs indépendamment de ceux exercés par ces dernières autorités.
Or, lesdites dispositions nationales ne permettent pas à l’autorité de régulation de prendre des décisions contraignantes en ce qui concerne la transparence et la libre concurrence sur le marché et, par conséquent, d’imposer les mesures proportionnées et nécessaires afin de promouvoir une concurrence effective et d’assurer le bon fonctionnement du marché à l’égard des entreprises d’électricité et de gaz naturel. En effet, si les pouvoirs tirés des articles 23 bis et 23 ter, ainsi que de l’article 30 bis, paragraphe 3, de la loi sur l’électricité, et des articles 15/14 bis, 15/14 ter, 15/16 ainsi que de l’article 18, paragraphe 3, de la loi sur le gaz naturel peuvent permettre à la CREG de contrôler et de surveiller les comportements anticoncurrentiels ou les pratiques commerciales déloyales des entreprises fournissant de l’électricité ou du gaz naturel ayant un effet ou susceptibles d’avoir un effet sur un marché de l’électricité ou du gaz naturel ainsi que de contrôler et de surveiller les prix offerts par ces entreprises qui doivent être objectivement justifiés par rapport aux coûts de celles-ci, il convient de relever que, aux termes des articles 23 bis et 23 ter de la loi sur l’électricité, ainsi que des articles 15/14 bis et 15/14 ter de la loi sur le gaz naturel, les constatations effectuées par la CREG dans le cadre de l’exercice de ses tâches de surveillance et de contrôle ne lui permettent, en principe, que d’établir des rapports au ministre fédéral chargé de l’énergie, de formuler des avis et des recommandations ainsi que de dénoncer les infractions présumées à l’Autorité belge de la concurrence.
La Cour précise que selon une jurisprudence constante , les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable, avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique qui requiert que, au cas où la directive vise à créer des droits pour les particuliers, les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/France, C‑354/98, EU:C:1999:386, point 11, du 14 mars 2006, Commission/France, C‑177/04, EU:C:2006:173, point 48, et du 4 octobre 2018, Commission/Espagne, C‑599/17, non publié, EU:C:2018:813, point 19 et jurisprudence citée).
Il convient en conséquence de constater que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des directives 2009/72 et 2009/73, en ayant omis de transposer correctement l’article 37, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/73.
3. Conditions de raccordement et d’accès aux réseaux nationaux ainsi que les conditions de la prestation de services d’équilibrage ou d’ajustement.
La Commission soutient que l’article 37, paragraphe 6, sous a) à c), et paragraphe 9, de la directive 2009/72 ainsi que l’article 41, paragraphe 6, sous a) à c), et paragraphe 9, de la directive 2009/73 n’ont pas été correctement transposés dans le droit belge. Plusieurs dispositions de ce droit ne donneraient pas à l’autorité de régulation, en l’espèce la CREG, le pouvoir exclusif de fixer ou d’approuver les méthodes pour calculer ou établir les conditions de raccordement et d’accès aux réseaux nationaux ainsi que les conditions de la prestation de services d’équilibrage ou d’ajustement.
Des matières qui devraient relever de la compétence exclusive de l’autorité de régulation seraient insérées dans le « règlement technique », au sens de l’article 11 de la loi sur l’électricité, et dans le « code de bonne conduite », au sens de l’article 15/5 undecies de la loi sur le gaz naturel, qui doivent être établis par le Roi. La compétence de la CREG serait limitée au seul contrôle de l’application de ce règlement technique et de ce code de bonne conduite. De même, la CREG serait chargée de l’approbation de documents qui doivent être établis sur la base des conditions d’accès définies par le Roi.
La Commission fait valoir que ledit règlement technique et ledit code de bonne conduite doivent respecter les dispositions du « troisième paquet énergie », y compris celles relatives aux compétences et à l’indépendance de l’autorité de régulation. Celle-ci devrait être compétente pour établir les dispositions du même règlement technique et du même code de bonne conduite.
La Cour estime que l’intervention du Roi dans la détermination de plusieurs conditions qui devraient, selon les directives 2009/72 et 2009/73, être établies ou approuvées par la CREG elle-même, soustrait à cette dernière des compétences de réglementation qui devraient lui revenir (voir, par analogie, arrêt du 29 octobre 2009, Commission/Belgique, C‑474/08, non publié, EU:C:2009:681, point 29).
Par ailleurs, il convient de relever que, en tant qu’autorité de régulation, la CREG devrait pouvoir adopter ses décisions de manière autonome, sur le seul fondement de l’intérêt public, pour assurer le respect des objectifs poursuivis par ladite directive, sans être soumise à des instructions externes provenant d’autres organes, tels que le Roi (voir, par analogie, arrêt du 11 juin 2020, Prezident Slovenskej republiky, C‑378/19, EU:C:2020:462, point 54).
4. Décision de la Cour
La Cour a estimé que le Royaume de Belgique a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, et de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE, en ayant omis de transposer correctement :
– l’article 9, paragraphe 1, sous a), de chacune des directives 2009/72 et 2009/73 ;
– l’article 37, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/72 et l’article 41, paragraphe 4, sous a) et b), de la directive 2009/73, ainsi que
– l’article 37, paragraphe 6, sous a) à c), et paragraphe 9, de la directive 2009/72 ainsi que l’article 41, paragraphe 6, sous a) à c), et paragraphe 9, de la directive 2009/73.
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