« It only gets stranger … »
Faire face aux circonstances imprévisibles, réagir à l’inattendu.
Ces dernières semaines, les discussions autour de la notion de « circonstances imprévisibles » fleurissent en marchés publics eu égard à la crise sanitaire liée au COVID-19. Cette notion n’est cependant pas neuve et a déjà fait couler beaucoup d’encre.
Un des principes que l’on croit essentiel dans la réglementation des marchés publics est celui du forfait. L’article 9 de la loi du 17 juin 2016 affirme que ceux-ci sont passés « à forfait », c’est-à-dire que les prix offerts par les opérateurs économiques sont définitifs et ne peuvent subir de modifications en cours d’exécution. Cette disposition a pour principal but de mettre à charge de l’opérateur économique les risques quant aux aléas de l’exécution. En pratique, rien n’est moins vrai : de nombreux marchés connaissent des évolutions en cours d’exécution pour amoindrir ce prétendu caractère « forfaitaire », et la réglementation comprend de nombreux tempéraments, notamment les articles 38/9 et 38/10 des RGE qui portent sur les circonstances imprévisibles.
Quoi ? Arrêtons-nous sur l’article 38/9 des RGE : cette disposition permet à un adjudicataire de solliciter la révision du marché lorsque l'équilibre contractuel a été bouleversé à son détriment par des circonstances quelconques auxquelles l'adjudicateur est resté étranger. Il doit démontrer qu’il s’agit de circonstances « qu’il ne pouvait raisonnablement pas prévoir lors du dépôt de son l'offre, qu'il ne pouvait éviter et aux conséquences desquelles il ne pouvait obvier, bien qu'il ait fait toutes les diligences nécessaires ». Si tel est le cas, la révision du marché peut consister soit en une prolongation du délai d’exécution, soit en une indemnisation si l’adjudicataire a subi un préjudice important, soit en une autre forme de révision ou encore en la résiliation du marché.
Quand et comment ? L’adjudicataire qui veut se prévaloir de circonstances imprévisibles doit être attentif aux délais et formalités de dénonciation aux articles 38/14 et 38/15 des RGE, sous peine de se voir privé de la possibilité d’y recourir :
- les circonstances doivent être notifiées par écrit dans les 30 jours de leur survenance ou de la date à laquelle l’adjudicataire aurait normalement dû en avoir connaissance. Il est très important pour l’adjudicataire de respecter ce délai, car il est prescrit à peine de déchéance.
- Il devra également communiquer de manière succincte à l’adjudicateur l’influence des faits ou circonstances invoqués sur le déroulement et le coût du marché. Cela peut se faire via la notification précitée ou par un écrit séparé, mais toujours dans le délai de 30 jours et ce, également à peine de déchéance.
- Quant à la révision du marché :
- Si l’adjudicataire sollicite une prolongation des délais d’exécution, il doit le faire avant l’expiration des délais contractuels ;
- Si l’adjudicataire sollicite une indemnisation ou une autre forme de révision, cette demande doit être accompagnée d’une justification chiffrée communiquée au plus tard 90 jours à compter de la notification à l’adjudicataire du procès-verbal de la réception provisoire du marché.
Les juridictions sanctionnent le non-respect de ces conditions. Ainsi, dans un jugement récent du 21 janvier 2020, le Tribunal de première instance de Bruxelles (RG17/6170/A) a encore rappelé que toute dénonciation tardive desdites circonstances ou toute non-communication dans les 30 jours de leur influence sur le déroulement et l’exécution du marché entraînent l’irrecevabilité de la demande.
Les adjudicataires veilleront donc à respecter les formalités et délais liés à leur demande, et les adjudicateurs veilleront quant à eux à vérifier la recevabilité de la demande !
Expertises liées: Marchés publics et PPP