Glyphosate vs l’accès à l'information environnementale : 0 – 1 - Marco Verch | Creative Common License | https://creativecommons.org/licenses/by/2.0
Photo: Marco Verch | Creative Common License | https://creativecommons.org/licenses/by/2.0

- Par Luc Depré

Glyphosate vs l’accès à l'information environnementale : 0 – 1

Lundi 13 mai 2019, un jury d'Oakland, près de San Francisco, a accordé deux milliards de dollars aux époux Pilliod, tous deux atteints d'un lymphome non hodgkinien, au titre de dommages « punitifs » destinés à sanctionner Monsanto.

Le jury a estimé que l'exposition au Roundup a causé le (cancer) des Pilliod et que Monsanto avait failli à l'obligation de prévenir de ce grave danger pour la santé. Surtout, le jury a également reconnu que Monsanto avait agi avec malveillance, oppression ou fraude et devait être puni pour son comportement. L’information sur la dangerosité du produit est le fondement de la condamnation.

Bayer, repreneur de la firme Monsanto, compte faire appel en continuant d’affirmer que le Roundup et son principe actif, le glyphosate, sont sans danger pour la santé de l’homme. Le chimiste allemand martèle qu'aucun régulateur dans le monde n'a conclu à la dangerosité du glyphosate depuis sa mise sur le marché au milieu des années 1970, et met en avant « 800 études rigoureuses » sur ses effets.

Cependant, ce discours ne semble pas entendu puisque Bayer fait face, à la fin du mois d’avril, à 13 400 procédures visant le seul glyphosate aux États-Unis.

De l’autre côté de l’Atlantique, toujours concernant le glyphosate, le Tribunal de l’Union Européenne a rendu, le 7 mars 2019, des arrêts de principe annulant les décisions de l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments, refusant au public l’accès aux études de toxicité et de cancérogénicité de la substance active glyphosate.

En effet, l’EFSA a refusé l’accès, en estimant notamment que l’accès aux parties de ces études n’était pas nécessaire pour vérifier l’évaluation scientifique des risques réalisée conformément au règlement concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques.

Les requérants ont alors saisi le Tribunal de l’Union européenne pour demander l’annulation des décisions de refus.

Le Tribunal rappelle tout d’abord la présomption selon laquelle la divulgation des informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement », à l’exception de celles relatives à des enquêtes, est réputée présenter un intérêt public supérieur par rapport à l’intérêt tiré de la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, de sorte que la protection desdits intérêts commerciaux ne peut être opposée à la divulgation de ces informations. Cela implique qu’une institution de l’Union, saisie d’une demande d’accès à un document, ne peut justifier son refus de le divulguer sur le fondement de l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, lorsque les informations contenues dans ce document constituent des informations qui « ont trait à des émissions dans l’environnement ».

Ensuite, le Tribunal examine la nature des informations contenues dans les études demandées pour constater si ces études constituent des informations « qui ont trait à des émissions dans l’environnement », au sens du règlement d’Aarhus.

Le Tribunal considère qu’une substance active contenue dans les produits phytopharmaceutiques, telle que le glyphosate, est, dans le cadre de son utilisation normale, destinée à être libérée dans l’environnement en raison de sa fonction même et ses émissions prévisibles ne sauraient, dès lors, être considérées comme purement hypothétiques. En tout état de cause, les émissions de glyphosate ne sauraient être qualifiées d’émissions seulement prévisibles. En effet, les études demandées faisaient partie du dossier de renouvellement de l’approbation de la substance active glyphosate.

À cet égard, le Tribunal constate que le glyphosate a été inscrit comme substance active à compter du 1er juillet 2002. Depuis cette date, le glyphosate a été autorisé dans les États membres et a été effectivement utilisé dans des produits phytopharmaceutiques. Le glyphosate est l’un des herbicides les plus couramment utilisés dans l’Union. Les émissions du glyphosate dans l’environnement sont donc réelles. Cette substance active est notamment présente sous forme de résidus dans les plantes, l’eau et les aliments. Les études demandées sont, dès lors, des études visant à établir la cancérogénicité ou la toxicité d’une substance active qui est effectivement présente dans l’environnement.

Le Tribunal conclut que l’EFSA ne saurait soutenir que les études demandées ne portent pas sur des émissions réelles ni sur les effets d’émissions réelles.

En ce qui concerne l’argument de l’EFSA selon lequel un lien avec des émissions dans l’environnement ne suffirait pas pour que ces études soient couvertes par le règlement d’Aarhus, le Tribunal relève qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que la notion d’« informations qui ont trait à des émissions dans l’environnement », au sens du règlement d’Aarhus, n’est pas limitée aux informations permettant d’évaluer les émissions en tant que telles mais vise également les informations relatives aux incidences de ces émissions.

Ainsi le public doit avoir accès non seulement aux informations sur les émissions en tant que telles, mais aussi à celles concernant les conséquences à plus ou moins long terme de ces émissions sur l’état de l’environnement, telles que les effets desdites émissions sur les organismes non ciblés. En effet, l’intérêt du public à accéder aux informations relatives aux émissions dans l’environnement est précisément de savoir non seulement ce qui est, ou sera de manière prévisible, rejeté dans l’environnement, mais aussi de comprendre la manière dont l’environnement risque d’être affecté par les émissions en question.

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