Jurisprudence : Les droits fondamentaux des générations futures de disposer d’un environnement sain – Tribunal administratif de Strasbourg - 7 novembre 2023
Faire reconnaître les droits des générations futures de vivre dans un environnement sain est un exercice juridique encore très malaisé voire illusoire. Certaines jurisprudences récentes viennent tempérer ce constat.
Par un arrêt du 24 mars 2021, la Cour constitutionnelle allemande a invalidé partiellement la loi de programmation des objectifs climatiques (Klimaschutzgesetz) de 2019 au motif que certaines dispositions n’étaient pas conformes aux droits fondamentaux (affaires 1 BvR 2656/18, 1 BvR 96/20, 1 BvR 78/20, 1 BvR 288/20, 1 BvR 96/20, 1 BvR 78/20).
Rappelons que la Klimaschutzgesetz impose une réduction de 55% des émissions des gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à leur niveau constaté en 1990, dans le but de se conformer aux objectifs tirés de l’accord de Paris. La neutralité climatique est prévue pour 2050.
Plus concrètement, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe a retoqué la loi de 2019 sur la protection du climat, estimant qu’elle ne contient pas d’exigences suffisantes pour réduire les émissions de gaz à effet de serre après 2030 et que, ce faisant, elle conduit à « restreindre pratiquement et potentiellement toute forme de liberté » pour les générations futures. « Les dispositions contestées portent atteinte aux libertés des requérants, dont certains sont encore très jeunes. Elles repoussent irréversiblement à la période postérieure à 2030 des charges considérables en matière de réduction d’émissions »
« les obligations futures de réduire les émissions concernent pratiquement et potentiellement toute forme de liberté, étant donné qu’actuellement presque toutes les activités humaines génèrent encore des émissions de gaz à effet de serre et que la menace est grande de se voir imposer des restrictions encore plus sévères après 2030. Par conséquent le législateur aurait dû prendre les mesures de précaution destinées à préserver la liberté protégée par les droits fondamentaux et à atténuer ces charges considérables »
« qu’il n’est pas tolérable de permettre à une certaine génération d’épuiser la majeure partie du budget résiduel de CO2 en ne réduisant les émissions que de façon relativement modérée, si une telle approche a pour effet de faire porter aux générations qui suivent un fardeau écrasant et de confronter ces dernières à une vaste perte de leur liberté. À l’avenir, même des pertes graves de liberté seront susceptibles d’être justifiées au regard du principe de proportionnalité du droit constitutionnel en vue de lutter contre le changement climatique ; c’est justement de ce fait que découle le risque de devoir accepter les pertes substantielles de liberté (…). Le devoir de protection (…) va de pair avec l’impératif de prendre soin des fondements naturels de la vie, d’une manière qui permette de les léguer aux générations futures dans un état qui laisse à ces dernières un choix autre que celui de l’austérité radicale si elles veulent continuer à préserver ces fondements ».
En résumé, au travers de l’examen des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe dicte que le Gouvernement doit préciser comment il entend répartir équitablement le budget CO2 après 2030, c’est-à-dire sans se retrouver à imposer des restrictions écrasantes aux générations futures.
Dans l’affaire Klimaatzaak, examinant la recevabilité de l’action, le Tribunal de première instance de Bruxelles a fait un pas dans le sens d’une reconnaissance de l’existence d’un dommage futur qui concernent nécessairement les générations futures. En effet, le Tribunal a fait le constat que, dérogeant à la condition d’actualité de l’intérêt, l’article 18 alinéa 2 du Code judiciaire autorise notamment l’action “intentée, même à titre déclaratoire, en vue de prévenir la violation d’un droit gravement menacé”.
“En l’espèce, les demandeurs entendent obtenir la condamnation des pouvoirs publics à prendre les mesures nécessaires en vue de prévenir un dommage futur dont le risque de réalisation est réel et non hypothétique. Ils se prévalent à cet égard à bon droit d’un intérêt à agir au sens de l’article 18, alinéa 2 précité.”
(Jugement Kimaatzaak du 17/06/2021, p. 55)
Enfin, une dernière jurisprudence très récente illustre cette prise en considération des droits des générations futures.
Par une ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023, le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu l’arrêté du 28 septembre 2023 par lequel le préfet du Haut-Rhin a prolongé, pour une durée illimitée, l’autorisation donnée à la société des Mines de Potasse d’Alsace de stockage souterrain en couches géologiques profondes de produits dangereux, non radioactifs, sur le territoire de la commune de Wittelsheim. Il a également enjoint au préfet du Haut-Rhin de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la maintenance du site et de l’ensemble des galeries. Tribunal administratif de Strasbourg : Communiqué de presse du 7 novembre 2023 - Stocamine : le confinement définitif des déchets est provisoirement suspendu (tribunal-administratif.fr)
Pour obtenir la suspension provisoire d’une décision administrative, deux conditions doivent être réunies : la situation doit revêtir un caractère d’urgence et il doit y avoir un doute sérieux sur la légalité de cette décision.
Le tribunal a estimé que la condition d’urgence est remplie. En feet, il n’est pas démontré que les travaux, qui devaient débuter de manière imminente, à cinq cent mètres sous la nappe phréatique d’Alsace, seraient réversibles. A ce stade de l’examen, le Tribunal considère qu’il y a un doute sérieux sur la légalité de la décision de stockage des déchets pour une durée illimitée.
Premièrement, la décision est susceptible de méconnaître l’article 1er de la Charte de l'environnement, qui dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », lu de manière combinée avec le septième alinéa de son préambule, selon lequel « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».
Deuxièmement, la décision est susceptible de méconnaître l’article L. 211-1 du code de l’environnement relatif à la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau.
Troisièmement, il n’est pas justifié de ce que les déchets stockés dans le bloc 15 ne pourraient être déstockés.
Cette décision, prise par le juge des référés sous le bénéfice de l’urgence, a un caractère provisoire jusqu’à l’arrêt en annulation de l’arrêté préfectoral.
Le contentieux climatique met en exergue les conséquences désastreuses des activités humaines sur l’héritage à léguer aux générations futurs. La Justice considère, de plus en plus, que nos héritiers doivent être protégés dès maintenant.
Expertises liées: Environnement, Gestion publique et textes légaux