Mayday, USS Enterprise en détresse.
Entrepreneur en faillite, pouvoir adjudicateur à l’épreuve ?
Si l’article 1795 du Code civil précise expressément que le décès de l'entrepreneur met fin de plein droit au contrat d'entreprise, il n’en va pas de même en cas de faillite de l’entrepreneur. La faillite de l'entrepreneur, qu'il s'agisse d'une personne physique ou d'une personne morale, ne met jamais fin de plein droit au contrat d'entreprise. Le curateur a le droit d'opter entre la résolution ou l'exécution du contrat. L’article XX.139 du Code de droit économique (CDE) précise, à cet égard, que les curateurs décident « sans délai, dès leur entrée en fonction », s'ils poursuivent les contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin automatiquement, ou s'ils les résilient unilatéralement lorsque l'administration de la masse le requiert nécessairement.
Dans le cadre d’un marché public de travaux, les articles 61 et 62 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 établissant les règles générales d’exécution des marchés publics abondent dans le même sens en précisant qu’en cas de faillite, le pouvoir adjudicateur peut lui aussi décider de résilier unilatéralement le contrat. L’on sait, toutefois, que dans ce cas, le pouvoir adjudicateur ne pourra solliciter de plein droit la libération du cautionnement à son profit.
Si le curateur décide de poursuivre, sous sa responsabilité, les travaux, les conditions contractuelles resteront d'application. Si le curateur opte pour la résiliation du contrat (ce qui dans 99,99 % des cas sera la solution adoptée), des comptes devront être établis entre le maître de l'ouvrage et la curatelle en fonction de l'état du chantier et des montants déjà payés. Il est alors essentiel qu'un constat contradictoire soit dressé quant à l'état du chantier (amiablement ou par un expert désigné judiciairement) avant que le pouvoir adjudicateur ne fasse poursuivre les travaux par un entrepreneur tiers. À défaut, il risquera d'être confronté à des difficultés majeures de preuve de l'avancement des travaux et de la qualité de ceux-ci au moment de l'établissement des comptes.
En cas de faillite, si le pouvoir adjudicateur n’obtient pas de réaction du curateur quant au sort à réserver au contrat d’entreprise, l’on ne peut que lui conseiller de mettre ce dernier en demeure de prendre une décision conformément à l’article XX.139, §1er, alinéa 2, du C.D.E. En vertu de cette disposition, le curateur dispose alors d’un délai de quinze jours pour se prononcer sur le sort à réserver au contrat. Sous réserve d'une prorogation amiable, si le curateur n'a pris aucune décision expresse avant l'expiration de ce délai, le contrat est considéré comme étant résilié. Ce n’est pas tout puisque, dans cette dernière hypothèse, la créance de dommages et intérêts éventuellement dus au cocontractant du fait de cette résiliation entrera dans la masse.
Par ailleurs, si les travaux ne s’exécutaient pas selon les modalités prévues au cahier des charges (délais, qualité, etc.), rappelons que l’adjudicateur doit adresser immédiatement un ou plusieurs procès-verbal de manquement pour préserver ses droits.
L’on relèvera encore qu’en cas de procédure judiciaire en cours, l’article XX.119 du CDE précise que toutes les procédures pendantes sont de plein droit suspendues jusqu’au premier procès-verbal de vérification des créances. Cela vise évidemment également les procédures d’expertise judiciaires.
Une bonne collaboration avec le curateur s’avère donc essentielle. Il n’empêche que même si ce dernier prend des décisions en autorisant, par exemple, la libération du cautionnement suite à une mesure de résiliation unilatérale du marché public, la caution solidaire pourra toujours invoquer des exceptions. Dans un jugement récent du 12 février 2020, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a indiqué, à cet égard, qu’en sa qualité de caution solidaire, le tiers qui intervient dans le mécanisme du cautionnement collectif peut opposer au pouvoir adjudicateur toutes les exceptions découlant du rapport contractuel noué entre ce dernier et l’adjudicataire et que cette faculté est considérée comme un droit propre de la caution. Par conséquent, le fait que le curateur ait autorisé la libération du cautionnement litigieux n’empêchait pas la caution solidaire de continuer à s’opposer à celle-ci.
Expertises liées: Marchés publics et PPP